PHRASE (linguistique)

PHRASE (linguistique)
PHRASE (linguistique)

PHRASE, linguistique

L’introduction dans la grammaire du terme et de la notion de phrase est relativement récente. Le mot lui-même, emprunté, au XVIe siècle, au latin, signifie uniquement, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, «expression, tournure». C’est avec ce sens qu’il fait son entrée dans la grammaire à la fin du XVIIe siècle, et, au siècle suivant, les dictionnaires et quelques traités encore ne lui reconnaissent que cet emploi. C’est cependant au début du XVIIIe que ce terme se présente avec une acception proche de celle qu’il aura par la suite dans la grammaire traditionnelle. Le développement de la syntaxe a en effet rendu nécessaire l’usage de termes qui puissent désigner des unités signifiantes supérieures au mot; Arnauld et Lancelot avaient emprunté à la logique le mot proposition qui, jusqu’au début du XXe siècle, conservera partiellement sa valeur originelle; deux autres termes coexistent avec celui-ci tout au long du XVIIIe siècle: période , qui désigne un énoncé assez long et organisé rhétoriquement, mais dont l’usage se raréfie au XIXe siècle, et phrase , qui de par sa signification originelle assez vague peut être utilisé pour désigner l’aspect proprement formel d’une unité de sens comportant une ou plusieurs propositions liées. Dès cette époque, phrase et proposition voient leur signification se rapprocher: on devait parfois les employer l’une pour l’autre, confusion que dénonce l’article «Phrase» de l’Encyclopédie , dû à Beauzée; Condillac, puis Sicard vont s’efforcer d’articuler ces termes: proposition désigne la pensée dans son organisation logique, alors que phrase signifie l’aspect grammatical, la forme sous laquelle se présente la pensée; d’autre part, une phrase peut inclure plusieurs propositions liées par des relations de dépendance ou de coordination.

Peu à peu se mettent en place les autres critères de reconnaissance permettant de définir la phrase: elle se termine par un point (Lhomond, 1780); elle a un sens complet; elle contient autant de propositions qu’il y a de verbes à un mode personnel (Noël et Chapsal, 1923); elle possède une intonation propre. La grammaire traditionnelle a repris tous ces critères, dont aucun n’est satisfaisant: comment définir un sens complet? Une subordonnée séparée de la principale par un point forme-t-elle une phrase à elle seule? Quel statut donner aux énoncés elliptiques tels que les réponses? Comment analyser les phrases nominales? Quant à l’intonation, elle ne vaut que pour les langues encore parlées, et son analyse est délicate.

La linguistique moderne a hérité du terme, mais l’a redéfini pour en faire une notion opératoire: la phrase est une structure formelle, séquence organisée de constituants se combinant linéairement. Pour le distributionalisme américain (Bloomfield, Harris) et européen (Martinet, Dubois), la phrase, de par son autonomie formelle, est l’unité supérieure de la description linguistique: phrase minimale (structure la plus simple pouvant fonctionner de façon grammaticalement autonome), syntagme, morphème sont des unités hiérarchisées, douées de sens, qui sont obtenues en pratiquant sur un corpus donné, selon une procédure déterminée, des opérations de segmentation et de substitution pour en dégager les constituants immédiats . En grammaire générative transformationnelle, la phrase minimale occupe une position plus fondamentale encore; tout repose sur l’axiome de départ suivant: P (symbole de «phrase», unité de structure profonde) se réécrit GN (groupe nominal) + GV (groupe verbal); cette structure initiale de base, grâce à des règles de réécriture (règles syntagmatiques, règles de transformations ), donne des suites terminales de surface; ces suites abstraites, interprétées sémantiquement et morphonologiquement, donnent, soumis aux contraintes de la communication, les énoncés produits ou à produire par les locuteurs-auditeurs; ce sont ces énoncés que la grammaire traditionnelle nomme «phrases». Ces théories ont fourni des procédures d’analyse d’une rigueur et d’une efficacité indéniables au niveau de la phrase.

Mais Saussure déjà, de façon confuse et contradictoire, et plus récemment Benveniste ont mis en évidence la place stratégique dévolue à l’unité «phrase»: à la jonction de la langue et de la parole , de la langue et du discours , elle participe des deux. Depuis quelques années se sont développées dans plusieurs pays d’Europe des recherches nouvelles et importantes, qui ont remis en cause le rôle de la phrase comme unité supérieure de la description linguistique; elles ont montré à l’évidence les insuffisances de la linguistique phrastique dès lors qu’on aborde l’étude de problèmes fondamentaux du langage qui, tous, ont à voir avec la cohérence du texte; qu’il s’agisse des phénomènes de substitution et de référence (pronoms, choix des déterminants du nom, contraintes lexicales), de l’emploi des temps verbaux, de la pratique de l’ellipse, de l’organisation de l’information en thème et propos, de l’usage de la métaphore, des présuppositions, il est impossible d’en rendre compte en s’en tenant aux limites de la phrase.

L’introduction et l’usage de la notion de phrase en grammaire correspond, semble-t-il, à un moment de la réflexion sur le langage où la syntaxe a occupé la place centrale; son dépassement offre la possibilité de prendre en compte les faits de cohérence textuelle, de mieux percevoir le phénomène d’énonciation, et peut-être d’aborder plus efficacement le problème de la production du sens.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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